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 Etude de prélèvements de peinture effectués sur une huile sur toile


OBJECTIFS:
Caractérisation de la nature des pigments et liants des différentes couches picturales (incluant la stratigraphie d'origine et les campagnes de restauration présumées).



MÉTHODES MISES EN ŒUVRE (suivant problématique)

  • Stéréomicroscope
  • Microscope optique inversé, avec observation en lumière réfléchie et en lumière polarisée
  • Microscopie électronique à balayage (M.E.B.) avec imagerie en mode électrons rétro-diffusés (E.R.D., observation en contraste chimique) couplée à une analyse élémentaire en dispersion d'énergie de rayons X (E.D.X.)
  • Tests microchimiques de coloration.
  • Spectroscopie Infrarouge


PRÉLÈVEMENTS

L'étude des échantillons est réalisée à partir de micro-prélèvements effectués sur le tableau par nos soins (si possible), en compagnie des restaurateurs. La localisation et le choix de l'échantillonnage sont établis en concertation, dans un souci de représentativité et afin de répondre au mieux à la problématique de l'œuvre.

EXEMPLE D'ETUDE DE CAS : échantillons prélevés au niveau d'une " Carnation avec repeint mat "


Figure 1 : Observation au stéréomicroscope de deux micro fragments de peinture (a- face interne, b- face externe).
Les numéros correspondent aux couches décrites plus loin dans la stratigraphie.



On observe sur la face interne une couche brun-rouge (Fig. 1a, 1), une couche grisâtre à jaune (2a et 2b), une couche gris-rosée (3), un vernis miel (6), et une couche superficielle mate (7).
La face externe des micro fragments est recouverte d'une couche superficielle brunâtre, d'aspect mat qualifiée de repeint (Fig. 1b, 7).

L'échantillon de la figure 1a est ensuite étudié en microsection en microscopie optique, sous différents types d'éclairages. Pour cela il est enrobé dans une résine époxy et une coupe polie perpendiculaire à sa surface est effectuée (Figure 2).



Figure 2 : Exemple d'échantillon de peinture préparé
en inclusion polie pour l'observation en microscopie optique.



La microsection permet d'étudier les couches picturales en stratigraphie, et d'évaluer ainsi la succession, la coloration et l'épaisseur des couches.

Dans l'exemple choisi, ce mode d'observation en microscopie optique montre la constitution interne du micro-prélèvement observé à l'état brut en figure 1a : la superposition des principales couches picturales est repérable (Fig. 3, 1 à 3). L'ensemble de la polychromie apparaît recouvert d'un épais vernis couleur miel (6), puis d'une très fine couche superficielle d'aspect mate (7).
Cependant, entre les couches 3 et 6, on note l'existence de couches intermédiaires qui restent difficilement identifiables ici (Fig. 3, flèche).



Figure 3 : Vue d'ensemble en microsection du fragment de la figure 1a.



L'étude et la caractérisation détaillées de l'échantillon nécessite l'utilisation du microscope électronique à balayage (MEB) qui permet d'analyser de manière approfondie les différents constituants (Fig. 4), et de déterminer leur composition élémentaire.



Figure 4 : Vue d'ensemble de la stratigraphie ci-dessus observée au MEB en mode contraste chimique (ERD, x 205).
Le cadre localise la figure 5.





Extraits d'analyses et commentaires :

C'est notamment sur l'appui des analyses menées au MEB, et par comparaison avec les observations sous stéréomicroscope et microscope optique (Fig. 5), que l'on reporte les résultats détaillés ci-dessous. Ils permettent en fin de compte d'établir une fiche stratigraphique complète (Fig. 10).





Figure 5 : Vues de détail de la couche brun-rouge au microscope optique,
en lumières polarisée (a-) et réfléchie (b-)
et au MEB en mode contraste chimique (c- ERD, x 450).





Etude de la couche brun-rouge, extrait :

La couche brun-rouge de base (1) apparaît particulièrement hétérogène. Elle associe au moins 3 pigments rouges, 2 pigments noirs, 2 pigments blancs, une charge calcaire et très localement des grains de quartz, ainsi que des particules d'un pigment à base de cuivre.

Les pigments rouges sont tous à base de fer : il s'agit d'ocres rouges (Fig. 6a et 5, flèches orange), d'oxydes de fer (Fig. 5, flèches rosées) et de terres ferrugineuses (terre de Sienne ?, Fig. 6b et 5, flèches rouges).


Figure 6 : Spectres d'analyse élémentaire MEB-EDX des ocres (a-), et des terres ferrugineuses (b-) de la couche brun-rouge.



Les pigments noirs, aussi à base de fer, sont sous forme d'oxydes de fer noirs (Fig. 5, flèches noires), ou de terres d'ombre (riches en manganèse, Fig. 5 et 7a, flèches marron, et 7b).


Figure 7 : Vue d'un détail de la couche brun-rouge (a- MEB-ERD, x 1120) et spectres EDX d'analyse élémentaire des terres d'ombre (b-)
et des grains de barytine (c-) de cette couche.



La charge calcaire associée apparaît sous forme de fragments de coquilles fossiles (Fig. 5b, 5c et 7a, flèches jaunes) : il s'agit vraisemblablement de craie.

Les pigments blancs : on détecte du blanc de plomb (Fig. 5 et 7a, flèches blanches) et, de manière très ponctuelle, des grains de barytine (sulfate de baryum, Fig. 7a, flèches bleues, et 7c).

Une analyse globale du " fond " de la couche brun-rouge (Fig. 8a) montre qu'elle est essentiellement formée d'un mélange de blanc de plomb (Pb), d'ocre (Al, Si, Fe) et de craie (Ca).

Dans cette couche, on détecte aussi de rares grains de quartz broyés, dont un gros au contact de la couche supérieure (Fig. 4, Q), ainsi que des traces d'un pigment à base de cuivre (Fig. 8a, Cu, et 8b).


Figure 8 : Spectres EDX d'analyse élémentaire représentatifs de la composition (a-) du fond de la couche brun-rouge, (b-) des particules sphérolitiques riches en cuivre. Dans le second cas, la petite taille des particules noyées dans le fond entraîne la détection des éléments environnants (Pb, Al, Si, Fe et Ca).



La morphologie des quelques particules repérables en imagerie MEB (sphérolitiques, Fig. 5 et 7a, flèches vertes) indique qu'il s'agit d'un pigment artificiel, probablement un acétate de cuivre (vert-de-gris ?).

Analyse des liants : les tests microchimiques de coloration (Fig. 9) réalisés sur la microsection montrent que la couche de préparation brun-rouge comporte un liant protéique (Fig. 9,1, réaction exclusive au violet de méthyle). La couche grisâtre à jaune juste au-dessus (2) paraît contenir un liant mixte à dominante protéique. On y détecte aussi la présence d'un liant lipidique dont la répartition n'est pas homogène (Fig. 9b, 2).


Figure 9 : Résultats des tests de coloration au violet de méthyle (a-) et au bleu de Nil (b-).



L'ensemble de ces observations indique que cette couche brun-rouge est une couche de préparation qui s'inscrit dans la tradition des préparations colorées de la peinture européenne des XVIIe et XVIIIe siècles (Réf. biblio1 et 2). Sa couleur est liée au mélange des trois variétés de pigments à base de fer souvent mis en oeuvre à l'époque, les terres brunes, les ocres et les oxydes de fer rouges, utilisés en association avec le carbonate de calcium et le blanc de plomb (Réf. biblio 2).

Cette couche de préparation brun-rouge comporte des particularités :
  • La charge calcaire apparaît introduite sous forme de craie, technique typique de la peinture française au XVIIe s.
  • Sa teinte est légèrement assombrie par l'adjonction de pigments noirs, suivant les indications du manuscrit flamand de Turquet de Mayerne (Réf. biblio 2), et probablement aussi d'un pigment artificiel à base de cuivre (vert-de-gris ?). Les pigments noirs sont ici sous forme de particules disséminées de terres d'ombre et d'oxydes de fer noirs.
  • On détecte également quelques grains de barytine dont la présence, dans les préparations rouges, a été remarquée dans bon nombre de tableaux peints à Paris au XVIIe siècle (Réf. biblio 2). Les travaux de référence menés au C2RMF ont émis l'hypothèse que le sulfate de baryum est un matériau de charge introduit volontairement, entre 1620 et 1680, par un fournisseur de pigments parisien dans un mélange spécifique destiné à l'élaboration des préparations dont l'agent colorant est un pigment très riche en oxyde de fer.



Références bibliographiques :
  1. S. Bergeon, 1986, Painting technique : priming, coloured paint film and varnish, in Scientific Examination of Easel Paintings, PACT n°13, Conseil de l'Europe, pp. 35-62.
  2. A.R. Duval, 1992, Les préparations colorées des tableaux de l'Ecole Française. Studies in Conservation, Vol. 37, n°4, pp. 239-258.


FICHE STRATIGRAPHIQUE :



Huile sur toile, " Carnation avec repeint mat " Figure 10



Microscope optique
(x 200, lumière polarisée)

  Stratigraphie          Résultats des analyses élémentaires
par ordre d'abondance des constituants,
( ) = éléments en traces


7- fine couche mate : couche picturale contenant des ocres, des terres d'ombre, du carbonate de calcium, et des particules riches en zinc (blanc de zinc ?).

6- couche de vernis n°3 : très faiblement plombifère.
 
Fe, Al, Si, Ca, C, Zn (Mn)


C (Pb)

Le détail des analyses indique que les couches supérieures
correspondent à une phase de repeint
   

5- couche de vernis n°2 : contient des traces de plomb et de calcium.

4- couche de vernis n°1 : contient des traces de plomb et de calcium.

3- couche picturale gris rosée : apparaît essentiellement formée d'un mélange de blanc de plomb, de noir de charbon, et de carbonate de calcium, et contient de très petites particules de vermillon. Présence de traces d'ocre.

2- couche de préparation 2 : couche grisâtre (2a) à jaune (2b). La partie grisâtre est essentiellement formée d'un mélange de blanc de plomb et de noir de charbon, et contient des particules d'ocre jaune et des terres d'ombre. Les zones jaunes contiennent des ocres jaunes, des particules d'ilménite et des grains de quartz.

1- couche de préparation 1 : couche brun-rouge formée d'un mélange d'ocres et d'oxydes de fer rouges et de terres ferrugineuses, de blanc de plomb et de calcaires coquillers (craie ?). Présence de barytine, de terres d'ombre et d'oxydes de fer noirs, d'un pigment à base de cuivre (acétate ?) et de grains de quartz.
  C (Pb, Ca)

C (Pb, Ca)

Pb, C, Ca (Hg, S, Al, Si, Fe)
Liant indéterminé


Pb, C, Fe (Al, Si, Mn, Ti, K)
Liant mixte, à dominante protéique



Fe, Pb, Ca, C (Al, Si, Ba, S, Mn, Cu, K)
Liant protéique